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le rythme.

aux membres grêles et à la tête énorme. Peut-être, de tout ce bouleversement, sortira-t-il une forme de vers un peu plus libre encore que celle d’Hugo pour le rythme, mais, selon nous, il y a ici bien peu de chose à faire : on est arrivé à la limite où le vers, pour vouloir trop désarticuler ses membres, les brise. Par exemple, on veut supprimer la césure de l’alexandrin sous prétexte que, dans beaucoup de vers romantiques et même raciniens, elle est simplement indiquée. Voici un vers d’Hugo muni d’une césure demi-voilée au sixième pied :


Apparaissait dans l’ombre horrible, toute rouge.


Voici le même vers sans le contre-temps du sixième pied :


Et toute rouge apparaissait dans l’ombre horrible.


Il y a entre les deux combinaisons une nuance, presque imperceptible, mais elle existe : le vers perd un effet et une image lorsqu’on ne sent plus l’hésitation et le déplacement du temps fort qui devrait tomber sur ombre et glisse sur horrible, en produisant une surprise de l’oreille destinée à rendre le saisissement de l’effroi. Sans cet effet, l’épithète horrible n’est que banale. — Un autre moyen de vérifier l’infériorité des vers divisés en 4-4-4, c’est d’en construire plusieurs, de faire une strophe avec ce rythme : cela devient d’une monotonie inacceptable. On ne pourrait prendre ces libertés qu’une fois en passant et dans des vers vraiment expressifs qui justifient la licence. Ainsi, on a pu fort bien dire :


Elle remit nonchalamment ses bas de soie.
.................
Regardent fuir en serpentant sa robe à queue.


Tandis que ce vers est mauvais :


Je suis la froide et la méchante souveraine ;


l’oreille ici est attrapée par l’article la à cheval sur les deux hémistiches.

Encore un exemple. Pour le vers de onze syllabes, les poètes ont peu cherché à tourner la difficulté en multipliant