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plus d’arrière-plans, plus de perspectives fuyantes, plus le moindre mystère. Ce sont bien vraiment les jardins de Versailles : tout est régulier, correct, souvent beau, presque jamais poétique, d’autant plus que le sentiment de la nature, c’est-à-dire de la vie universelle débordant chaque être, est à peu près absent. Il n’y a guère de poétique au dix-septième siècle, en dehors des beaux vers de La Fontaine, que la prose de Pascal, parfois de Bossuet et de Fénelon. C’est par grande exception que Corneille, — si souvent beau et sublime, — est poétique. Théophile Gautier dit que, dans tout Corneille, il y a un seul vers « pittoresque » qui ouvre un horizon sur la nature :


Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ;


et Gautier ajoute, pour la plus grande gloire de la rime et même de la cheville, que ce vers, intercalé pour amener la rime de « voiles « dont le poète avait besoin, est, en réalité, « une cheville magnifique taillée par des mains souveraines dans le cèdre des parvis célestes ». Dans Molière, quand Orgon revient de voyage et se chauffe les mains au feu, il finit par dire :


La campagne à présent n’est pas beaucoup fleurie.


Il y a donc encore, derrière le théâtre où s’enchevêtre l’intrigue, quelque chose de vert, une campagne où restent quelques fleurs, une nature qui enveloppe l’homme ! Chez Racine, les effets poétiques sont plus nombreux, parce que Racine a été obligé de traduire un peu d’Euripide :


Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
.................
Ariane, ma sœur, de quel amour blessée
Vous mourûtes, aux bords où vous fûtes laissée !


L’harmonie de ces deux derniers vers évoque la vision du rivage où Ariane se meurt lentement d’amour. Mais, tout bien compté, si notre poésie classique a une foule de qualités, elle n’est pas poétique ; et si la prose classique l’est davan-