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l’art au point de vue sociologique.

en équation, deux et deux frnit quatre et six font dix.

Le style purement logique ne s’efforce que d’introduire la suite dans les idées ; le style poétique ou littéraire s’efforce d’y introduire l’organisation, l’équilibre et la proportion des êtres vivants. L’un pourrait représenter son idéal sous la figure d’une chaîne linéaire, l’autre d’une fleur qui s’épanouit en courbes de toutes sortes. Pour éveiller la sympathie chez le lecteur au gré de l’écrivain la phrase doit être vivante ; or, un être vivant n’est pas une suite d’éléments juxtaposés, c’est un ensemble fait de parties dissemblables et unies par une mutuelle dépendance ; la phrase est donc un organisme. Tout membre de phrase se différencie du précédent ou du suivant, soit qu’il s’y oppose et le restreigne, soit qu’il le complète ou le confirme en le répétant sous une forme plus vive ; chaque membre de phrase a son individualité propre, à plus forte raison chaque phrase. Il y a même d’ordinaire certains rapports de proportion entre la longueur de la phrase et la puissance de l’idée ou du sentiment. Un membre de phrase plus long contient souvent une idée ou une image plus forte ou plus importante. Un membre de phrase court peut contenir, soit une idée de moindre valeur, soit une idée frappante qui prendra un relief d’autant plus grand qu’elle sera rendue en moins de mots. Balzac dit, dans une simple parenthèse : — « Car on hait de plus en plus, comme on aime tous les jours davantage, quand on aime. »

Veut-on des exemples de la phrase inorganisée, amorphe, qu’on lise Auguste Comte. Veut-on des exemples d’une organisation déséquilibrée par trop de recherche et de prétention : on en trouvera dans les mauvaises pages d’Alphonse Daudet, qui a su pourtant, en maint endroit, animer la phrase d’une vie sympathique. Il y a aussi une certaine manière d’écrire qu’on peut appeler le style abandonné ; elle laisse les idées et les images se succéder au hasard des événements ou des associations habituelles : c’est le style du récit ; c’est la vraie prose, celle de M. Jourdain. Le style abandonné, courant au hasard des événements, peut d’ailleurs devenir lui-même