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le style.

des signes visibles ; l’art doit reproduire ces accents et ces gestes pour l’aire pénétrer dans l’àme, par suggestion, le sentiment qu’ils expriment. Il n’est donc pas vrai que le style consiste seulement, comme dit Buffon, « dans l’ordre et le mouvement des pensées ; « il faut ajouter à l’ordre et au mouvement le sentiment, seul moyen d’éveiller la sympathie. Nous ne sympathisons qu’avec l’homme : les choses ne nous arrivent et ne nous touchent que comme vision et émotion, comme interprétation de l’esprit et du cœur humains ; et c’est pour cela que « le style est l’homme. » Le vrai style naîtra donc de la pensée et du sentiment mêmes ; il en sera la parfaite et dernière expression, à la fois personnelle et sociale, comme l’accent de la voix donne leur sens propre aux paroles communes à tous. Les écrits qui manquent de ce vrai style ressemblent à ces pianos mécaniques qui nous laissent froids, même lorsqu’ils répètent de beaux airs, parce que nous ne sentons point venir jusqu’à nous l’émotion et la vie d’une main humaine vibrant sur leurs cordes et les faisant vibrer elles-mêmes.

Le goût, nécessaire au style, est le sentiment immédiat de lois plus ou moins profondes, les unes créatrices, les autres régulatrices de la vie. L’inspiration du génie n’est pas seulement réglée, mais aussi constituée en grande, partie par le goût même, qui, parmi les associations innombrables que suscite le hasard, juge du premier coup, choisit. Écrire, peindre, sculpter, c’est savoir choisir. L’écrivain, comme le musicien, reconnaît du premier coup dans la confusion de ses pensées ce qui est mélodieux, ce qui sonne juste et bien : le poète saisit tout d’abord dans une phrase un bout de vers, un hémistiche harmonieux.

L’interprétation et l’application de ces lois générales du style varient d’ailleurs suivant les artistes et les œuvres. Ainsi, en musique, telles dissonances qui, isolées, seraient une cacophonie, trouvent leur justification dans une suite d’accords qui les résolvent. Si certaines règles sont immuables, on n’aura jamais achevé, d’en tirer toutes les conséquences. Paraître déroger à une règle, c’est parfois l’étendre, la féconder par des applications nouvelles. Celui