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CHAPITRE QUATRIÈME


L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine. (suite)


LES SUCCESSEURS D’HUGO


I. Sully-Prudhomme. — II. Leconte de Lisle. — III. Coppée. — IV. Mme Ackermann. — V. Une parodie de la poésie philosophique : les Blasphèmes.


I


On connaît le passage du Phédon où Socrate raconte qu’Apollon lui ayant prescrit de se livrer à la poésie, il pense que, pour être vraiment poète, il fallait « faire des mythes, non pas seulement des discours, ποιεῖν μύθους, ἀλλ’ οὐ λόγους  (poiein muthous, all’ ou logous). » Le vrai poète est en effet, comme on l’a dit avec raison, un créateur de mythes, c’est-à-dire qu’il représente à l’imagination des actions et des faits sous une forme sensible, et qu’il traduit ainsi en actions et en images même les idées. Le mythe est le germe commun de la religion, de la poésie et du langage : si tout mot est au fond une image, toute phrase est au fond un mythe complet, c’est-à-dire l’histoire fictive des mots mis en action. La langue, à son tour, est le germe de la société entre les esprits. Mais il y a des mots qui ne sont plus aujourd’hui que des fragments d’images et de sentiments, des débris morts, de la poussière de mythe, presque des signes algébriques ; il y a, au contraire, des mots qui sont des images complètes ; il y a des phrases et des vers qui offrent l’harmonie et la coordination d’une scène vivante s’accomplissant sous nos yeux. Le poète se reconnaît à ce qu’il rend aux mots la vie et la couleur, à ce qu’il les associe de manière à en faire le développement d’un