Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/306

Cette page n’a pas encore été corrigée
246
l’art au point de vue sociologique.

volution. — « Il y a, disait Hippocrate, l’inconnu, le mystérieux, le divin des maladies, quid divinum. » Ce qu’il disait des maladies, Hugo le dit des révolutions [1]. Il eut le tort de partager ce que la critique anglaise a appelé la vue mystique et surnaturelle de la Révolution française. Comme Michelet, il était porté à adorer le peuple ; mais adorer n’est pas flatter, et on ne peut confondre un rêveur avec un courtisan vulgaire [2]. Hugo dit d’un de ses héros, M. Mabeuf, que ses habitudes d’esprit avaient le va-et-vient d’une pendule. Une fois monté par une illusion, il allait très longtemps, même quand l’illusion avait disparu. « Une horloge ne s’arrête pus court au moment précis où on en perd la clef. » Le peuple est tout à fait comparable à M. Mabeuf, et Hugo lui-même au peuple : ni les uns ni les autres n’ont su arrêter à temps leurs illusions. Pourtant, chose remarquable, ce partisan idolâtre de la Révolution n’a jamais été en fait un révolutionnaire. « Supprimer est mauvais, dit-il. Il faut réformer et transformer [3]. » « N’apportons point la flamme là où la lumière suffit. »

« Il faut que le bien soit innocent [4]. »


Une minute peut blesser un siècle, hélas [5] !


Selon Hugo, dans notre société, c’est la femme et l’enfant qui souffrent le plus. — « Qui n’a vu que la misère de l’homme n’a rien vu, il faut voir la misère de la femme ; qui n’a vu que la misère de la femme n’a rien vu, il faut voir la misère de l’enfant, » On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne ; c’est une erreur, répond Hugo : il existe toujours ; « mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’ap-

  1. Littérature et philosophie mêlées, Ier volume.
  2. M. Dupuy fait remarquer à quel point se trompent ceux qui voient dans V. Hugo un courtisan de l’opinion. « Qui la nattait en 1825, Victor Hugo, chantre de l’aulel et du trône, ou Casimir Delavigne, le poète des Messéniennes, ou Béranger, le chansonnier du Roi d’Yvetot, le prêtre narquois du Dieu des bonnes gens ? » Plus tard, le Sunt lacrimæ rerum, cette sorte de panégyrique attendri, que la mort de (Charles X exilé inspire au poète du sacre, venait juste à l"encontre du sentiment populaire. Plus tard encore, « sera-ce un sacrifice au goût dominant des Français de 1802 que de flétrir le régime devant lequel ils se sont prosternés ? » Sera-ce une tactique d’opportuniste, au lendemain de la Commune de 1871, et au plus fort des représailles, que « de jeter le cri d’appel à la clémence et de flétrir la loi du talion ? »
  3. Les Misérables.
  4. Ibid., tome V.
  5. L’Année terrible, p. 304.