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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

résoudre le problème de la distribution des richesses : — « Ils se trompent, dit Hugo, leur répartition tue la production. Le partage égal abolit l’émulation, et par conséquent le travail. C’est une répartition faite par le boucher, qui tue ce qu’il partage [1]. » Hugo admet d’ailleurs une sorte de droit moral au travail : « Le travail ne peut être une loi sans être un droit [2]. » C’est-à-dire que la loi sociale, « restreignant Tactivité de chacun par le respect du droit d’autrui et lui permettant de se développer non dans le sens de la déprédation, mais uniquement dans le sens du travail personnel, admet implicitement l’universelle possibilité de ce travail ; le devoir de justice suppose ainsi le pouvoir de travailler ». Mais, tout en s’imaginant que la société future reconnaîtra, sous une forme ou sous une autre, le droit au travail, Hugo avoue que cette réforme est une des « dernières et des plus délicates à entreprendre. » — Ajoutons que le manque de travail, loin d’être le facteur essentiel de la misère, n’y entre que comme un élément minime, un dixième environ ; parmi les assistés de tous pays, dix pour cent seulement le sont pour cause de chômage. Il est probable que le meilleur moyen de rendre le travail possible pour tous, c’est « de le rendre partout libre » ; l’initiative individuelle et la charité privée feront le reste [3].

Les œuvres inédites de Victor Hugo contiennent des pages dignes de Montesquieu sur les effets sociaux du luxe et sur le peuple : « Le luxe est un besoin des grands États et des grandes civilisations ; cependant il y a des heures où il ne faut pas que le peuple le voie… Quand on montre le luxe au peuple dans des jours de disette et de détresse, son esprit, qui est un esprit d’enfant, franchit tout de suite une foule de degrés ; il ne se dit pas que ce luxe le fait vivre, que ce luxe lui est utile^ que ce luxe lui est nécessaire ; il se dit qu’il souffre et que voilà des gens qui jouissent ; il se demande pourquoi tout cela n’est pas à lui, il examine toutes ces

  1. Les Misérables, tome VII.
  2. Ibid., tome VII, p. 420.
  3. Si l’on ajoute foi à des statistiques faites simultanément dans plusieurs États de l’Europe, la maladie et la vieillesse entrent à raison de plus de 60 pour 100 dans les causes de la misère ; il semble donc que, si on le voulait avec assez de force, il serait possible de faire diminuer notablement la misère par le svstème de l’assurance contre les maladies et la vieillesse.