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l’art au point de vue sociologique.

On peut appliquer à Hugo ce qu’il dit d’un de ses personnages : « La mansuétude universelle était moins chez lui un instinct de nature que le résultat d’une grande conviction filtrée dans son cœur à travers la vie et lentement tombée en lui pensée à pensée. » — « Il est de ces âmes, a-t-il dit encore, où la pensée est si grande qu’elle ne peut plus être que douce [1]. » Il est « de ces êtres iDienveillants qui progressent en sens inverse de l’humanité vulgaire, que l’illusion fait sages et que l’expérience fait enthousiastes [2]. » C’est ainsi, et dans son progrès, qu’il faut voir V. Hugo pour le juger.

Cette bienveillance finale est le fond de sa morale même, de sa morale sociale, qui pourrait se résumer en cette formule : identité de la fraternité et de la justice.


Et la fraternité, c’est la grande justice [3].

Béni soit qui me hait, et béni soit qui m’aime.
.................
Être absous, pardonné, plaint, aimé, c’est mon droit.
Tu me crois la Pitié : fils, je suis la Justice.
Oh ! plaindre, c’est déjà comprendre. . . .
La grande vérité sort de la grande excuse…
Dès que, s’examinant soi-même, on se résout
À chercher le côté pardonnable de tout,…
Le réel se dévoile, on sent dans sa poitrine
Un cœur nouveau qui s’ouvre et qui s’épanouit.

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas.
Sur ce qu’il est et sur ce que nous sommes ;
       Une loi sort des choses d’ici-bas,
              Et des hommes ;

Cette loi sainte, il faut s’y conformer.
Et la voici, toute ùme y peut atteindre ;
Ne rien haïr, mon enfant, tout aimer,
              Ou tout plaindre [4] !


La pitié suprême, qui est en même temps la suprême justice, c’est le pardon universel, c’est l’amour s’étendant à tous les misérables, malheureux ou méchants. Cette pitié, l’homme n’a pu la mettre ni dans ses lois, ni dans ses institutions so-

  1. Les Misérables.
  2. Les Travailleurs de la mer.
  3. L’Année terrible.
  4. À ma fille, livre Ier des Contemplations.