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l’art au point de vue sociologique.

profond[1]. Toute idée d’Hugo doit être un lieu commun, c’est chose arrêtée d’avance. En revanche, quand le lieu commun vient de Lamartine, on ne lui fait plus aucun reproche, et même on s’efforce d’y voir des profondeurs.

Un homme d’esprit s’est amusé à résumer comme il suit les pièces d’Hugo : — « On s’amuse et la mort arrive (Noces et festins) ; Nous allons tous à la tombe (Soirée en mer) ; Il faut être charitable pour gagner le ciel (Pour les pauvres) ; Le bonheur pour les jeunes filles est dans la vertu (Regard jeté dans une mansarde) ; L’amour n’a qu’un temps, mais on s’en souvient toujours avec plaisir (Tinstesse d’ Olympio), etc.[2]. » On pourrait ainsi parodier et ramener à de pures banalités bien des pages célèbres non seulement de Bossuet, qui a en effet la sublime éloquence du lieu commun, mais de Pascal

  1. Déjà Mérimée voyait dans V. Hugo un « fou ». Pour A. Dumas fils, V. Hugo et son œuvre sont simplement « monstrueux » l’un et l’autre : « Il est une force indomptable, un élément irréductible, une sorte d’Attila du monde intellectuel,… s’emparant de tout ce qui peut lui servir, brisant ou rejetant tout ce qui ne lui sert plus. C’est l’implacable génie qui ne se soucie que de soi-même. » Et, quant à son caractère, M. Dumas aboutit à ce jugement, naïf à force de subtilité malveillante : « Il a aimé la liberté, parce qu’il a compris que la liberté seule pouvait lui donner la gloire telle qu’il la voulait, et qu’un simple poète ne pouvait aspirer à être au-dessus de tous que dans une société démocratique… Il a répudié la monarchie et le catholicisme, parce cine, dans ces deux formes sociale et religieuse de l’État, il aurait toujours eu inévitablement quelqu’un au-dessus de lui. » Ainsi Hugo n’a pas d’autre raison à opposer au catholicisme que les intérêts de son orgueil personnel ! Pour M. Scherer et M. Brunetière, Victor Hugo est un virtuose, un versificateur incomparable, qui a immortalisé des lieux cummuns. M. Jules Lemaître, pour qui Lamartine « n’est pas un poète, mais la poésie même, » ne reconnaît chez Hugo une « métaphysique rudimentaire » que pour s’en moquer. M. Faguet, tout en désirant mieux rendre justice, résume l’opinion des critiques du jour et la sienne propre en disant : « Il n’aime pas les idées… Il n’aime pas ceux qui ont des idées. Lui qui se plaît, en prose et en vers, à faire des nomenclatures de noms illustres, il ne cite jamais (ou il cite très indilléremment et au hasard de la rime, sans y insister) les noms des philosophes, des historiens, des hommes de pensée. Descartes, Leibnitz, Spinoza, Kant, Montesquieu… En résumé, V. Hugo est magnifique metteur en scène de lieux communs, dramaturge pittoresque, romancier descriptif, lyrique puissant, froid quelquefois, épique supérieur et merveilleux. Très facilement penétrable, peu profond, peu compliqué, obscur seulement (et rarement) par la forme, ses beaux lieux communs, ses dissertations morales, ses larges et riches descriptions, ses narrations éclatantes complaisamment étalées, seront bien compris et bien goûtés des jeunes esprits. » (Faguet, Études littéraires : V. Hugo, pp. 181, 232, 251.) Selon M. Hennequin, avec son immense réputation Victor Hugo n’a eu pour admirateur « aucun critique notable. » ( ?) S’il en était ainsi, il faudrait le regretter pour les critiques notables : cela ne ferait pas honneur à leur intelligence. M. Hennequin a cru lui-même faire de la « critique scientifique » et notable en réduisant le génie de V. Hugo à la « grandiosite vague et verbale » et en induisant qu’il devait y avoir en lui prédominance des éléments figurés du langage et de la « troisième circonvolution frontale ». Il ne reste plus qu’à disséquer le cerveau de V. Hugo pour faire de la critique qui soit à la hauteur de la science. Cette « critique scientifique » rappelle les expérimentations scientifiques que Zola fait dans son imai ;ination.
  2. M. Faguet, p. 196.