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l’art au point de vue sociologique.

Dans Ibo, la beauté est appelée sainte, et elle est rapprochée de l’Idéal et de la Foi. Enfin, comme Aristote, Hugo identifie la beauté, l’harmonie éternelle des choses, avec une volonté élémentaire du bien répandue en tout.

Mais la vraie preuve de Dieu, pour Hugo, c’est la conscience morale. Kantien sans le savoir, il admet en philosophie la souveraineté de la raison pratique. La philosophie, selon lui, est essentiellement énergie et volonté du bien. « Voir et montrer, cela même ne suffit pas. La philosophie doit être une énergie ; elle doit avoir pour effort et pour effet d’améliorer l’homme… Faire fraterniser chez les hommes la conscience et la science, les rendre justes par cette confrontation mystérieuse, tehe est la fonction de la philosophie réelle. La morale est un épanouissement de vérités. Contempler mène à agir. L’absolu doit être pratique. Il faut que l’idéal soit respirable… C’est l’idéal qui a le droit de dire : Prenez, ceci est ma chair, ceci est mon sang. La sagesse est une communion sacrée[1]. » La philosophie n’est donc pas une simple curiosité spéculative tournée vers l’inconnaissable : elle doit se le représenter pratiquement sous la forme de la moralité. « La philosophie ne doit pas être un encorbellement bâti sur le mystère pour le regarder à son aise, sans autre résultat que d’être commode à la curiosité[2]. »

Cependant, dira-t-on, le monde semble ignorer absolument nos idées morales : « La vertu n’amène pas le bonheur, le crime n’amène pas le malheur : la conscience a une logique, le sort en a une autre ; nulle coïncidence. Rien ne peut être prévu. Nous vivons péle-méle et coup sur coup. La conscience est la ligne droite, la vie est le tourbillon[3]. » — Hugo répond qu’il faut obstinément s’en tenir à la ligne droite, et, pour le reste, attendre l’avenir.


    prendre, elle n’ailmet rien d’obscur, rien d’impénétrable... Ce que le flambeau de sa raison ne peut éciairer n’existe pas pour elle. » Doudan se souvenait peut-être de Schiller quand il a dit : « Il y a des moments où j’aime autant un grand gâchis qu’une précision étroite. J’aime autant de grands marais troubles et profonds que ces deux verres d’eau claire que le génie fraurais lanct ; en l’air avec une certaine force, se flattant d’aller aussi haut que la nature des choses. Il y a longtemps que je pense que celui qui n’aurait que des idées claires serait assurément un sot… Les poètes sont sur les conlins des idées claires et du grand inintelligible. Ils ont déjà quelque chose de la langue mystérieuse des béaux-arts, qui fait voir trente-six mille chandelles. Or, ces trente-six mille chandelles sont le rayonnement lointain des vérités que notre intelligence ne peut pas aborder de front. »

  1. Les Misérables.
  2. Ibid., t. IV.
  3. Les Travailleurs de la mer.