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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


II

LAMARTINE.


Il n’y a pas grande originalité dans la philosophie encore trop oratoire de Lamartine : le christianisme et le platonisme en ont fourni l’ensemble et les détails ; mais vouloir que toute idée philosophique mise en vers par le poète lui appartienne toujours en propre serait véritablement trop demander. Il est dans la nature même du poète d’être grand surtout en surface : il doit voir et sentir plus que s’appesantir, il doit tout effleurer et tout comprendre ; il reflète ; c’est le miroir d’une génération, d’une époque ; sa profondeur est le plus souvent intuition. Ses doutes ou ses croyances, il les trouve la plupart du temps, comme chacun de nous, dans l’air ambiant. Seulement, comme son art consiste justement à grandir toutes choses en les animant, il est indispensable que l’idée soit par lui repensée, qu’il la fasse pour ainsi dire sienne en la rendant vivante de sa vie propre. C’est en ce sens qu’on pourrait soutenir qu’il n’est peut-être pas mauvais que le poète se fasse illusion à lui-même, finisse par se croire au même degré l’auteur de certaines pensées et de la forme qu’il leur a donnée. Se contenter de traduire, c’est pour un poète se condamner d’avance à la froideur ; c’est faire un travail, non une œuvre d’art véritable, Cjuelque perfection d’ailleurs qu’il y apporte. Ainsi en arrive-t-il pour Lamartine : quoique le sentiment soit vrai, trop souvent la pensée philosophique et religieuse, au lieu de projeter spontanément son expression vivante, est « traduite en vers », — en vers heureux, faciles, abondants, poétiques, mais qui n’en sont pas moins des traductions et des tours d’adresse [1]. Il y a encore trop de Delille dans Lamartine.

  1. Voyez, dans Jocelyn, les pages connues sur les étoiles :

    Celles-ci, leur disais-je, avec le ciel sont nées :
    Leur rayon vient à nous sur des milliers d’années.
    Des mondes, que peut seul peser l’eaprit de Dieu,
    Elles sont les soleils, les centres, le milieu ;
    L’océan de l’éther les absorbe en ses ondes
    Comme des grains de sable, et chacun de ces mondes