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CHAPITRE DEUXIÈME


L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie contemporaine.


I. Poésie, science et philosophie. — II. Lamartine. — III. Vigny. —
IV. Alfred de Musset.


I

POÉSIE, SCIENCE ET PHILOSOPHIE


I. — Un des traits caractéristiques de la pensée et de la littérature à notre époque, c’est d’être peu à peu envahies par les idées philosophiques. La théorie de l’art pour l’art, bien interprétée, et la théorie qui assigne à l’art une fonction morale et sociale sont également vraies et ne s’excluent point. Il est donc bon et même nécessaire que le poète croie à sa mission et ait une conviction. « Ce don, — une conviction, — a dit Hugo, constitue aujourd’hui comme autrefois l’identité même de l’écrivain. Le penseur, en ce siècle, peut avoir aussi sa foi sainte, sa foi utile, et croire à la patrie, à l’intelligence, à la poésie, à la liberté ![1] » Avoir une conviction n’est pas, en effet, sans importance, même au pur point de vue esthétique ; car une conviction imprime une certaine unité à la pensée, une convergence vers un but, conséquemment un ordre, une mesure. En même temps une conviction est le principe de la sincérité, de la vérité, qui est l’essentiel même de l’art, le seul moyen de produire l’émotion et d’éveiller la sympathie. La conviction rend vibrante la parole du poète et nous ne tardons pas à vibrer avec elle, ce qui est la plus haute et la plus complète manière d’admirer[2].

  1. V. Hugo, Discours de réception à l’Académie française. IIe vol. de Littérature et philosophie mêlées, pp. 211, 212.
  2. Nous pourrions citer tel poète contemporain, par exemple M. Richepin, qui