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l’art au point de vue sociologique.

du temple de l’art pour l’égaler au monde ; soit ; mais le cerveau et la pensée finissent par disparaître au profit des intestins. Toutes les fonctions physiologiques acquièrent droit de cité dans l’art. L’expérimentateur des Rougon-Macquart se vante d’avoir le premier, dans le roman, donné sa vraie place à l’instinct génésique. Jusqu’alors on avait dit « l’amour » tout simplement ; le romancier est en droit d’employer des termes scientifiques comme de nous montrer les choses sous un aspect scientifique, mais il y a, parmi les savants eux-mêmes, certains vulgarisateurs qui insistent avec complaisance sur tels et tels sujets scabreux dans un tout autre but que l’esprit purement scientifique : ils veulent avoir simplement un succès de librairie. Bon nombre de réalistes ont fait comme eux. La science n’est jamais impudique, parce qu’elle scrute dans une intention toute désintéressée ; elle ignore simplement la pudeur. Nos modernes naturalistes ne l’ignorent pas du tout : ils savent très bien comment on la blesse, et ils l’ont blessée souvent de propos délibéré pour obtenir un de ces scandales qui se transforment, eux aussi, en succès de librairie. Leur maître actuel, comme les premiers romantiques d’ailleurs, cherche certainement à scandaliser ; néanmoins, il semble avoir une prédisposition native à se complaire dans de certains sujets, prédisposition qui, suivant ses théories mêmes, doit s’expliquer par quelque cause héréditaire, par quelque trace morbide. On doit lui rendre cette justice qu’on ne rencontre nulle part autant que dans ces romans une persistance pareille à rechercher les sujets scabreux et à les détailler. L’instinct génésique, comme il l’appelle, deviendrait, à l’en croire, la préoccupation incessante du genre humain ; voilà, par exemple, des mineurs harassés, épuisés, assommés par de longues heures de travail au fond d’une mine, qui, une fois rentrés chez eux, n’ont qu’une idée en tête : l’idée génésique. Le héros de Germinal, après sept jours d’ensevelissement et de diète, songe encore à satisfaire cet instinct, et son idée fixe, en tombant dans un évanouissement qui est peut-être la mort, c’est que Catherine pourrait bien être enceinte… Si les ouvriers et paysans étaient ainsi, on serait vraiment en droit de s’étonner de l’infécondité de la race française. Quand on traite crûment de pareils sujets, les qualités scientifiques sont de ri-