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l’art au point de vue sociologique.

firme, plus encore qu’une rigoureuse application. Mais les réalistes, eux, s’en tiennent de parti pris aux grotesques, aux avortés, aux monstrueux. Leur « société » est donc incomplète.

Un troisième trait du système philosophique substitué par les réalistes à l’observation de la réalité, c’est le fatalisme. Zola s’en défend avec énergie : il cite encore une fois son Claude Bernard, qui a dit : « Le fatalisme suppose la manifestation nécessaire d’un phénomène indépendamment de ses conditions, tandis que le déterminisme est la condition nécessaire d’un phénomène dont la manifestation n’est pas forcée, » Le romancier doit être déterministe, ajoute avec raison Zola, non fataliste : « c’est la source de son impartialité. « Conçoit-on un savant se fâchant contre l’azote, parce que l’azote est impropre à la vie ? Le savant supprime l’azote, quand il est nuisible ; et pas davantage. Comme le pouvoir des romanciers n’est pas le même que celui des savants, « comme ils sont des expérimentateurs sans être des praticiens », ils doivent se contenter de chercher le déterminisme des phénomènes sociaux, en laissant aux législateurs, aux hommes d’application, le soin de diriger tôt ou tard ces phénomènes, de façon à développer les bons et à réduire les mauvais, au point de vue de l’utilité humaine. « Nous montrons le mécanisme de l’utile et du nuisible, nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu’on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes[1]. » Le « circulus social » est identique au circulus vital ; dans la société comme dans le corps humain, il existe une solidarité qui lie les différents membres, les différents organes entre eux, de telle sorte que, si un organe se pourrit, beaucoup d’autres sont atteints, et une maladie très complexe se déclare. Dès lors, dans les romans, « lorsqu’on expérimente sur une plaie grave qui empoisonne la société », on procède comme le médecin expérimentateur : on remue le terrain fétide de la vie, on tâche de trouver le déterminisme simple, initial, pour arriver ensuite au déterminisme complexe dont l’action a suivi. On peut prendre l’exemple du baron Hulot, dans la Cousine Bette. Voyez le résultat final, le dénouement du roman : une

  1. Le Roman expérimental, p. 24.