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le roman psychologique et sociologique.

simplement scientifique de certaines expériences de Lavoisier, restées célèbres, n’aurait certes pas le don de nous intéresser esthétiquement ; il ne pourrait être acceptable qu’à la condition de prendre, comme sujet principal, Lavoisier lui-même et non point ses expériences, de faire ressortir son opiniâtreté et son courage de savant qui ne se laisse rebuter par rien. La science n’a d’autre but qu’elle-même ; rien n’existe pour elle en dehors du résultat obtenu, l’homme ne compte qu’en tant que moyen, mis de côté dès qu’il cesse d’être utile : il ne ferait que retarder, embarrasser sa marche ; le roman au contraire, tout entier tourné vers l’homme, ne verra l’œuvre de l’homme qu’à travers ses efforts. Ainsi ont pu trouver place dans le roman moderne des sujets qu’on avait coutume de regarder comme laids ou inconvenants ; mais il y faut de l’art, et beaucoup d’art ; ce qui est beau en demande moins, ce qui est laid en demande infiniment. Il s’agit tout simplement de trouver par quel côté le laid cesse de l’être, c’est-à-dire en quel sens il a droit à notre sympathie, droit qui est celui de tout ce qui existe, à la seule condition qu’on sache regarder les choses sous un certain jour. Les jeunes gens qui débutent par des œuvres naturalistes s’attaquent à ce qu’il y a de plus difficile. Avant les progrès envahissants de la science contemporaine, le romancier, dans une étude psychologique, se contentait de prendre l’état d’âme existant et le dépeignait tel qu’il le trouvait, sans en demander compte ni aux raisons physiologiques, ni au milieu dans lequel son héros se trouvait placé. En étendant, à la façon moderne, l’étude psychologique aux études physiologiques et aux études de milieux, le romancier a donné plus de couleur à sa peinture de l’âme humaine. Mais, encore une fois, la science seule ne suffit pas : voilà pourquoi une nomenclature ne saurait nous intéresser, voilà pourquoi décrire pour décrire nous fatigue à la longue, quelles que soient d’ailleurs les qualités d’exactitude et de coloris que l’auteur peut déployer. L’intérêt scientifique doit toujours s’allier à un intérêt

    vérités scientifiques dans les romans de Jules Verne. Rappelons la dernière allumette, l’unique grain de blé, le diamant se réduisant en poudre, la glace produisant le feu après être devenue une lentille reflétant les rayons du soleil. Zola s’est évidemment souvenu de la façon de conter de Jules Verne dans l’épisode du petit Jeanlin descendant dans le puits de mine abandonné, sa chandelle à la main.