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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

intellectuel passons maintenant au tempérament moral ; là encore, nous nous trouvons en présence d’une foule de penchants instinctifs qui produiront la joie ou la douleur selon que la volonté leur obéira ou leur résistera : penchants à l’avarice, à la charité, au vol, à la sociabilité, à la férocité, à la pitié, etc. Ces tendances si diverses peuvent exister dans un même caractère et le tirailler en tous sens ; la joie qu’éprouve l’homme de bien à suivre ses instincts sociaux aura donc pour pendant celle que le coupable éprouve à suivre ses instincts antisociaux. On sait le mot de ce jeune malfaiteur cité par Maudsley : « Dieu ! que c’est donc bon de voler ! Quand même j’aurais des millions, je voudrais encore être voleur. » Lorsque cette joie de mal faire n’est compensée par aucun regret ni remords postérieur (et c’est ce qui arriverait, suivant les criminalistes, chez les neuf dizièmes des criminels de race), il s’ensuit un renversement complet dans la direction de la conscience, semblable à celui qui se produit dans l’aiguille aimantée ; les instincts mauvais étouffant tous les autres, c’est d’eux ou à peu près que vient la seule sanction pathologique. Le jeune voleur dont parle Maudsley, s’il avait manqué.une occasion de voler, eût certes souffert intérieurement, il eût eu comme l’esquisse d’un remords.

Le phénomène pathologique désigné sous le nom de sanction intérieure peut donc être considéré comme indifférent en lui-même à la qualité morale des actes. La sensibilité, où se passent les phénomènes de ce genre, n’a nullement la fixité de la raison ; elle appartient au nombre de ces choses «ambiguës et à double usage » dont parle Platon : elle peut favoriser le mal comme le bien. Nos instincts, nos penchants, nos passions ne savent ce qu’ils veulent ; ils ont besoin d’être dirigés par la raison, et la joie ou la souf-