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LA SANCTION MORALE ET LE PRINCIPE DE L’ORDRE.

l’assassin, comme d’autres assassins l’imiteront lui-même, subissant à leur tour cette sorte de fascination qu’exerce le meurtre et qui fait pratiquement de l’échafaud une école de crime. Il est impossible de voir dans la « sanction expiatrice » rien qui ressemble à une conséquence rationnelle de la faute ; c’est une simple séquence mécanique, ou, pour mieux dire, une répétition matérielle, une copie dont la faute est le modèle.

II. — Invoquera-t-on, avec V. Cousin et M. Janet, cet étrange principe de l’ordre, que trouble une « volonté rebelle » et que la souffrance seule peut rétablir ? On oublie de distinguer ici entre la question sociale et la question morale.

L’ordre social a été, en effet, l’origine historique du châtiment, et la peine n’était au début, comme l’a fait voir Littré, qu’une compensation, une indemnité matérielle, exigée par la victime ou par ses parents ; mais, lorsqu’on se place en dehors du point de vue social, la peine peut-elle rien compenser ? Il serait trop commode qu’un crime pût être physiquement réparé par le châtiment, et qu’on pût payer le prix d’une mauvaise action avec une certaine dose de souffrance physique, comme on achetait les indulgences de l’Eglise en écus sonnants. Non, ce qui est fait est fait ; le mal moral reste, malgré tout le mal physique qu’on peut, y ajouter. Autant il serait, rationnel de poursuivre, avec les déterministes, la guérison du coupable, autant il est irrationnel de chercher la punition ou la compensation du crime. Cette idée est le résultat d’une sorte de mathématique et du balance enfantine. « Œil pour œil, dent pour dent[1]. » Pour qui admet l’hypothèse du libre arbitre, l’un

  1. Un des principaux représentants en France de la morale