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LA SANCTION MORALE ET L’IDÉE DE MÉRITE.

a-t-on dit encore[1], qu’une sanction est nécessaire... Elle n’est une loi sévère et sainte qu’à la condition que le châtiment soit attaché à sa violation et le bonheur au boin qu’on prend de l’observer. » Nous croyons que cette doctrine de la rémunération sensible, surtout de l’expiation, est insoutenable à quelque point de vue qu’on se place, et même en supposant qu’il existe une « loi morale » s’adressant impérativement à des êtres doués de liberté. Elle est une doctrine matérialiste mal à propos opposée au prétendu matérialisme de ses adversaires.

Cherchons, en dehors de tout préjugé, de toute idée préconçue, quelle raison morale il y aurait pour qu’un être moralement mauvais reçût une souffrance sensible, et un être bon un surplus de jouissances ; nous verrons qu’il n’y a pas de raison, et que, au lieu de nous trouver en présence d’une proposition « évidente » a priori, nous sommes devant une induction grossièrement empirique et physique, tirée des principes du talion ou de l’intérêt bien entendu. Cette induction se déguise sous trois notions prétendues rationnelles : 1° celle de mérite ; 2° celle d’ordre ; 2° celle de justice distributive.

    des philosophes qui ont le plus protesté en France contre la doctrine selon laquelle les lois sociales seraient expiatrices et non simplement défensives, MM. Franck et Renouvier, semblent cependant admettre comme évident le principe d’une rémunération attachée à la loi morale. « Il ne s’agit pas de savoir, dit M. Franck, si le mal mérite d’être puni, car celle proposition est évidente par elle-même. » (Philos. du droit pénal, p. 79.) « Ce serait aller contre la nature des choses, dit aussi M. Renouvier, que d’exiger de la vertu de n’attendre point de rémunération. » (Science de la morale, p. 286.) M. Caro va plus loin, et dans deux chapitres des Problèmes de morale sociale il s’efforce, en s’appuyant sur M. de Broglie, de maintenir à la fois le droit moral et le droit social de punir les coupables.

  1. M. Marion, Leçons de morale, p. 157.