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CHAPITRE II

Cinquième équivalent du devoir tiré du risque métaphysique :
l’hypothèse.


I

LE RISQUE MÉTAPHYSIQUE DANS LA SPÉCULATION



Nous avons constaté l’influence pratique considérable qu’avait le plaisir du danger ou du risque ; il nous reste à voir l’influence non moins grande de ce que Platon appelait le « ϰαλός ϰένδυνος », du grand risque métaphysique où la pensée aime à se jouer.

Pour que je puisse raisonner jusqu’au bout certains actes moraux dépassant la morale moyenne et scientifique, pour que je puisse les déduire rigoureusement de principes philosophiques ou religieux, il faut que ces principes soient eux-mêmes posés et déterminés. Mais il ne peuvent l’être que par hypothèse ; il faut donc que je crée moi même, en définitive, les raisons métaphysiques de mes actes. Étant donné l’inconnaissable, l’x du fond des choses, il faut que je me le représente d’une certaine façon, que je le conçoive sur l’image de l’acte que je veux accomplir. Si, par exemple, je veux accomplir un acte de charité pure et définitive, et que je veuille justifier rationnellement cet acte, il faut que j’imagine une éternelle charité présente au fond des choses et de moi-même, il faut que j’objective le sentiment qui me fait agir. L’agent moral joue ici le même rôle que l’artiste : il doit projeter au dehors les tendances qu’il sent en lui, et faire un poème métaphysique avec son amour. L’x inconnaissable et neutre est le pendant du marbre que façonne le sculpteur, des mots inertes qui se rangent et prennent vie dans la strophe du poète. L’artiste ne façonne