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NOTES

qui sont aussi les médecins de leur âme, juifs dévots dont les groupements autour du lac Maria, près d’Alexandrie, rappellent l’organisation du monastère de Nitria : ils habitent des cellules séparées et se réunissent à jour fixe, dans une salle commune, pour s’édifier ensemble et se livrer à des exercices pieux. La vie de ces Thérapeutes, surtout contemplative, semble déjà si proche de celle des moines chrétiens qu’Eusèbe, l’historien-évêque du IVe siècle, les a confondus avec eux.

La naissance du monachisme chrétien, au IVe siècle, n’a donc pas été un phénomène tout à fait insolite et, si Antoine en ignorait les précédents, il semble probable que Pakhôme connaissait au moins ceux qui intéressaient l’Égypte. La persistance d’un courant d’ascétisme, sous diverses formes, et dans les milieux les plus différents, au cours des quatre premiers siècles de l’histoire de l’Empire, préparait le succès de l’institution nouvelle.

Il était pourtant une puissance qui semblait devoir considérer d’un très mauvais œil le succès de l’initiative d’un saint Antoine ou d’un saint Pakhôme ; j’ai nommé l’Église. Depuis la fin du Ie siècle, elle s’était appliquée à organiser le christianisme pour la vie ; elle avait patiemment écarté tous les scrupules exagérés et stériles, qui pouvaient empêcher la collaboration des fidèles à l’activité sociale, justifié les situations acquises, prouvé au riche qu’il pouvait être sauvé, proclamé qu’un excellent chrétien avait le droit de rester un homme, et superposé aux fantaisies individuelles, un idéal de solidarité dans la communion des saints, qui s’appuyait sur l’unité d’une foi invariable, sur la participation de tous à un culte bien réglé et sur la subordination du laïque au clerc. Rien ne la contrariait davantage que l’individualisme outrancier d’un saint Antoine ; sans doute, elle ne pouvait pas dire de mal de l’ascétisme, puisqu’il produisait pour sa justification des textes authentiques et vénérés, mais elle le voulait réduire à n’être que le mérite, régi par elle, de quelques fidèles d’exception, créés par Dieu pour encourager les autres. Tout justement, au début du IVe siècle, elle semblait toucher au but suprême de son effort : elle venait de conquérir l’Empereur et de s’unir à l’État, de réconcilier définitivement le christianisme et la société romaine, d’accepter la place et la fonction d’un organe de défense conservatrice, tant dans l’ordre social que dans l’ordre politique. Et voilà que des hommes qui sortent d’elle semblent condamner en bloc tout ce qu’elle approuve, et proclament qu’on ne peut espérer de salut certain qu’en fuyant la société qu’elle gouverne ! Pourquoi donc pareille insurrection, d’ailleurs presque inconsciente, contre l’œuvre de l’Église, s’est-elle produite justement au lendemain de son triomphe et d’abord en Égypte ?

Entendu comme il convient, le mouvement monachique nous apparaît comme une révolte de l’individualisme ascétique, de