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Il va dans sa cabane, en rapporte un livre, s’assoit sur le banc, feuillette tout au hasard, puis il lit :

« … après s’être consolé de cette perte, alla à Thamnas avec Hiras d’Odollam, le pasteur de ses troupeaux… »

Ah !… cela me fait du bien… ma tête se dégage !

« … pour voir ceux qui tondaient ses brebis… »

Un bêlement part de l’horizon.

C’est comme si j’y étais… et même il me semble qu’au loin…

Une lueur ardente poudroie dans l’atmosphère ; les terrains se haussent, et le sable tout doucement disparaît sous l’herbe.

« Thamar ayant été avertie que Judas, son beau-père, allait à Thamnas… »

De grandes montagnes découpent dans un ciel violet leurs pics bleus escalopés. Il y a des tentes sur les collines, avec des troupeaux de moutons noirs. On entend crier les pasteurs ; les clochettes tintent.
Et, continuant à lire, Antoine voit en face de lui deux chemins qui s’entre-croisent.
Une femme vient s’asseoir au bord. Ses prunelles brillent dans la fente de son voile blanc qui lui passe à plusieurs tours sur le visage, et écarte de sa tête ses gros anneaux d’or, en soulevant le bout de ses oreilles. La brise colle contre son ventre sa robe d’été qui s’agite derrière elle, en claquant à l’air comme un drapeau.
Un pasteur s’avance vêtu d’un manteau jaune attaché autour de son front par un cercle d’airain. Il porte un bâton recourbé et marche gravement dans des sandales en peau de bouc.
Il s’approche, ils sont face à face, ils se parlent bas. L’homme retire de son doigt une bague d’argent, de sa tête le cercle d’airain, dépose son bâton, et
la femme
passe la bague à son doigt, le cercle à son bras, prend le bâton et dit :

Tout de suite !… là !…

le pasteur.

Mais les crottes de bouc abîmeraient ta belle robe.

Ils s’éloignent et le pasteur reprend :

Il doit y avoir, aux environs, quelque citerne abandonnée…