Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’atelier avec les bons sculpteurs, au bruit des ciseaux de fer qui sonnaient sur les marbres de Paros. Le maître, nu-bras, prétrissait la brune argile. Du haut de l’escabeau, où je posais debout, je voyais son vaste front se plisser d’inquiétude. Il cherchait sur mon corps la forme conçue, — et il s’épouvantait en l’y découvrant tout à coup plus splendide même que l’idéal, et moi je riais à voir l’art se désespérer, à cause du dessin de ma rotule et des fossettes de mon dos.

Le faux Antoine pousse la porte.
lampito
se jetant sur Démonassa.

Maîtresse ! maîtresse ! c’est l’étranger qui m’avait dit de n’en rien dire !…

Tout disparaît.
antoine
se relève.

Où étais-je donc ?… dans une rue d’Athènes ?… Je n’y ai jamais été cependant !… N’importe ! je suis sûr que les choses s’y trouvent ainsi.

D’où vient que j’y pense encore ?… Cela est mal ! Mais pourquoi ?… Le moindre de mes désirs est tellement clos d’obstacles, que j’y peux circuler tout à mon aise, sans aucune crainte de péril. Si même je n’étais venu dans la solitude qu’après l’exercice des passions, leur rêve maintenant ne me tourmenterait pas… peut-être. Je connaîtrais les caresses qui damnent… le charme des affections maudites… les férocités du plaisir…

Il se frappe le front.

Ah ! encore ! encore ! où ma pensée court-elle ? Je finis par perdre toute possession de moi-même, tant elle se trouve diffuse et répandue.

Il se croise les bras et soupire.

Autrefois pourtant j’étais calme, je vivais dans la simplicité de ma foi, et, chaque matin quand je m’éveillais, je sentais mon âme s’épanouir sous le regard de Dieu, comme une prairie couverte de rosée qui fume au soleil !… — Oui, autrefois ! au commencement… je venais de quitter la maison…

le cochon.

J’ai souvenir d’une basse-cour, entre quatre murs, avec une