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quand il a levé le troisième jour la pierre de son tombeau, c’était comme une vapeur qui en est sortie, un fantôme, je ne sais quoi. Thomas s’en doutait, qui a voulu toucher ses plaies. Mais il lui était facile de simuler des plaies puisqu’il simulait un corps : si c’eût été un vrai corps comme le tien, aurait-il pu traverser les murs et se transporter dans l’espace ? Or, si ce n’était pas un corps, si ce n’était pas un homme… Jésus est bien le Christ, n’est-ce pas ? tu ne crois pas que le Christ ait été Melchisédech, ni Sem, ni Theodotus, ni Vespasien ?

antoine.

Oui ! Jésus est le Christ !

la logique.

Et le Christ est Jésus… Mais pour exister cependant, il faut avoir un corps, il faut être, et puisque ce corps il ne l’avait pas, donc il n’a pas existé, donc il n’a pas été, le Christ est un mensonge !

antoine
se désolant.

Oh ! oh ! c’est malgré moi, tout cela est tombé dans ma tête l’un après l’autre. Pardon, Seigneur ! pardon ! qu’il est mal…

la logique
l’interrompant.

Qu’est-ce que le mal ?

antoine
étonné.

Ce qui n’est pas le bien.

la logique.

Ah ! ah ! tu philosophises comme un grec ! Tu dis le mal, le bien, le bon, le mauvais. Voyons, habile homme : le mal, c’est ce qui n’est pas le bien, et le bien, sans doute, ce qui n’est pas le mal, — ensuite ?…

antoine
irrité.

Eh non ! le mal, c’est ce qui est défendu par Dieu.