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les péchés
répétant l’un après l’autre :

Oui !… oui !… oui !…

la logique.

Et considère ton existence maintenant !

antoine.

Ah, je le sais ! C’est une agonie plutôt ! Quelquefois cependant… j’ai eu des éclairs de béatitude où il me semblait…

la logique
l’interrompant.

Non, le souvenir t’abuse ! Car le bonheur, quand on tourne la tête pour le revoir, baigne sa cime dans une vapeur d’or et semble toucher les cieux, comme les montagnes qui, sans en être plus hautes, allongent leur ombre au crépuscule.

antoine
tout doucement, se met à pleurer.

Hélas ! hélas ! comme un homme qui voudrait dormir et que la vermine harcèle, qui se passe les mains sur la figure, qui gémit et qui sanglote, au sein des ténèbres sans cesse éveillé, — je sens quelque chose d’insaisissable et de nombreux, qui court, qui revient, qui me brûle et qui m’agace, qui me chatouille et qui me dévore. Que faut-il faire, Seigneur ? où fuir, où demeurer ? Ordonne ! Je pleure comme un idiot qu’on a battu, je tourne à l’abandon, comme la roue détachée d’un char.

la logique.

C’est parce que tu souffres que tu te perds de plus en plus.

antoine.

Comment ?

la logique.

On place sur l’autel des chandeliers d’or avec des fleurs épanouies, et l’on enferme les os des martyrs sous des perles fines et des topazes. Pourquoi donc, te refusant au bonheur, étales-tu