Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les maîtres et pour les esclaves, pour les jeunes gens, pour les vieillards, pour les mariniers, pour les charcutiers, pour les boulangers, pour les voleurs, pour les vidangeurs, pour le lupanar et pour le cirque, pour tous les besoins, pour tous les jours. En voilà un qui veille à ce que les enfants ne se perdent pas à la promenade, un autre qui donne la fièvre, un autre qui donne la pâleur, un autre qui donne la peur ; ceux-ci sont pour former le fœtus, pour le retourner, pour l’extraire, pour veiller à la cuisine, pour faire crier les gonds de la porte, pour pousser le flot sur le rivage et pour le ramener en arrière.

Frappant sur la mousse des bois la corne de leurs pieds, les Faunes à bouche fendue suivent le vieux Pan des pasteurs, qui claque dans ses mains au milieu de son troupeau ; ils ricanent, ils sont velus ; leur front rugueux est couvert de boutons roses comme les bourgeons de tilleuls à la saison du printemps. Voilà Priape à la voix rauque, qui se casse les reins dans une érection dernière, et le dieu Terminus, et la déesse Épona, et Acca Laurentia, et Anna Perenna.

antoine.

Quels sons ! qui chante ainsi ?

Il écoute.

Quels ravissements ! quelle douceur ! sur une corde d’or sautillent, il me semble, des notes aux pieds légers ; cela pétille, bourdonne, gazouille ! et avec quelque chose par-dessus… quelque chose de lent qui se déroule et qui retombe.

Apollon paraît.
le diable.

N’est-ce pas qu’il est beau ?

apollon
nu, couronné de laurier, la chlamyde rejetée sur le bras gauche et jouant d’une énorme cithare retenue par une courroie qui lui passe sur le cou.

Je chante sur la lyre.

Il tousse :

Hum ! hum !… je chante sur la lyre… hum !… l’ordre de l’univers… euh hum ! euh hum ! heu ! heu !… à la loi du rythme la matière et les êtres…

Une cheville se casse, une corde se rompant cingle la figure du