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Ai-je travaillé, moi !

Il promène autour de lui un regard satisfait.

Quels combats ! personne ne me suivra ; du reste il n’y a peut-être plus rien à faire ? Dès avant ma naissance je pesais plus qu’un homme ; ma mère avait du mal à me porter, et je fus, m’a-t-elle dit, sept jours et sept nuits à pouvoir sortir de son ventre. Je le crois bien, c’était Jupiter qui m’avait fait !

Il rit, la Mort rit aussi ; saint Antoine tressaillant se retourne vers elle.
hercule
continue.

On dit que j’ai accompli douze travaux ! j’en ai accompli cent, j’en ai accompli mille, que sais-je ?

J’ai étranglé d’abord comme des anguilles deux énormes serpents que Junon avait envoyés et qui serraient si fort leurs anneaux qu’ils en faisaient craquer les pieds de mon berceau ; j’ai dompté le taureau de l’île de Crète, j’ai tué le sanglier d’Erymanthe, j’ai percé de flèches les oiseaux du lac Stymphale, j’ai étouffé à bras le corps le lion de Némée. J’ai vaincu Diomède et je l’ai donné à dévorer à ses propres chevaux, qu’il nourrissait de chair humaine dans des auges de pierre ; j’ai coupé les têtes de l’Hydre, j’ai tué Théodomus et Lacynus, j’ai tué Lycus roi de Thèbes, Euripide roi de Cos, Nélée roi de Pise, Euryle roi d’Œchalie ; j’ai cassé la corne d’Achéloüs, qui était un grand fleuve pourtant ! j’ai fait mourir Busiris, j’ai étouffé Antée, j’ai tué Géryon qui avait trois corps, et Cacus, fils de Vulcain, qui vomissait des flammes ; j’ai dompté les Centaures, j’ai vaincu les Amazones et j’ai rapporté, sur mon dos, les Cercopes captifs suspendus à un bâton, la tête en bas.

Il réfléchit.

Est-ce tout ? Oh ! non, j’ai abattu le vautour de Prométhée, j’ai lié Cerbère avec une chaîne de diamant, j’ai nettoyé les étables d’Augias, ce n’était pas facile ! et j’ai séparé l’une de l’autre les montagnes de Calpé et d’Abyla, rien qu’en les prenant par leurs sommets, comme un homme qui écarte avec ses mains les deux morceaux d’une bûche que la hache a fendue.

Ah ! j’oubliais ! j’ai été chercher dans les enfers Alceste, femme d’Admète ; j’ai ravi les pommes d’or des Hespérides ; un jour, pour soulager Atlas, j’ai porté le ciel sur ma tête.

J’ai voyagé, j’ai été dans l’Inde. Quand j’avais faim, je levais mon bras et je tirais en passant les palmiers par leur chevelure pour les abaisser jusqu’à ma bouche ; j’ai fait le tour du Pont-Euxin,