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les cynocéphales
à tête de chien, vivent dans les bois en poussant des cris terribles.

Nous courons après les chèvres, nous les déchirons avec nos ongles, nous dévorons leur chair, nous nous couvrons de leurs peaux ; nous grimpons dans les arbres pour attraper les nids ; nous supons les œufs, nous plumons les oiseaux et nous mettons sur notre tête leurs nids renversés pour nous faire des bonnets. S’il passe un tigre ou quelque léopard, nous sautons à cheval sur lui, nous nous accrochons à ses oreilles et nous galopons ensemble. Ou bien, quand les bergers à midi dorment à l’ombre sous les arbres, du haut des branches alors nous lâchons sur eux nos ordures, ou les écrasons dru en leur lançant des fruits. Malheur à la vierge qui va seule aux fontaines ! les hurleurs la saisissent et la violent avec plaisir ; elle avait rêvé d’autres caresses que nos bras, d’autres baisers que nos morsures ! tant pis ! Vive la joie ! hardi ! compagnons, faisons claquer nos dents blanches ! agitez les feuillages !

le sadhuzag
grand cerf noir à tête de bœuf.

Moi aussi, je suis l’hôte de la forêt. Enchanteur mélodieux des peuples qui l’habitent, mes soixante-douze andouillers qui couronnent ma tête sont creux comme des flûtes, je les abaisse et je les dresse à volonté… Tiens !

Il fait remuer son bois en avant et en arrière.

Quand je me tourne vers le vent d’ouest et que je les incline sur mes épaules, il en sort des sons qui font venir à moi les bêtes ravies. Alors accourent ensemble la gazelle aux yeux bleus, l’éléphant, l’épervier, les buffles sortant de la vase, le rhinocéros qui se hâte, le renard, les singes, les chats sauvages, les ours ; les chevreuils avec leurs petits s’assoient en rond autour de moi, les serpents montent à mes jambes, les guêpes se collent dans mes narines, et les perroquets, les colombes et les ibis, pour mieux entendre, se tiennent perchés sur mes rameaux… Écoute !

Il renverse son grand bois, d’où sort aussitôt une mélodie ineffable.
antoine.

Quels sons ! qu’a donc mon cœur ? il se détache et il vibre. Est-ce que cette mélodie va l’emporter avec elle ?