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Il est dans la chair rugissante, dans le feu étincelant, dans le vent furieux.

Les villes ont fait éclater leurs murs, l’herbe a grandi sous mes pieds, et le prêtre qui chantait dans les hymnes, s’arrêtant tout à coup, s’est mis à courir après moi dans le désert. Je vais t’emporter sur ma bête, je te roulerai dans mon amour, nous irons au haut de l’abîme, et sur ta joue ruisselleront mes baisers comme des flammèches d’incendie ; tu sentiras ton cœur plus grouillant qu’une forêt où il y a des battements d’ailes de colombes et des frôlements de vipères.

La prophétesse s’avance vers saint Antoine, ils se regardent l’un l’autre ; elle incline la tête, elle sourit en secouant sa torche, dont les gouttes enflammées tombent aux pieds de saint Antoine ; la tigresse bombe son dos et lève la queue en l’air.
antoine
épouvanté, recule.

Oh ! oh ! oh ! que j’ai peur ! que j’ai peur ! oue ! oue ! oue !

La prophétesse se rapproche avec toutes les précédentes Hérésies derrière elle.
Antoine va être écrasé par leur foule.
Tout en tremblant, il plonge la main dans sa poitrine et en retire un petit crucifix attaché à un cordon ; il le présente au bout de ses bras et marche droit contre les Hérésies, elles s’éloignent à reculons, baissant la tête dans leurs épaules, avec des gestes effrayés.
À mesure que saint Antoine marche, le cercle s’élargit.
Il parcourt la scène, il fait ainsi plusieurs tours.
Silence complet, la scène est vide.
Mais du fond s’avancent
les montanistes
dans des tuniques noires, la tête couverte de cendre, marchant les bras croisés.

Persévère, Antoine ! C’est par la pénitence que tu vaincras le Démon. Fais-toi souffrir, mortifie-toi, macère-toi !

Et quand le cal sera venu sur la croûte sèche de tes plaies et que ton esprit n’imaginera plus rien pour tourmenter ta chair fatiguée, va-t’en, cours au martyre ! Jésus l’a subi, ses fils doivent le chercher pour lui plaire. À côté de sa douleur, que seront jamais leurs douleurs ! Le gémissement du Calvaire retentira jusqu’à la consommation des mondes, infini comme la souffrance qui l’a poussé ; mais de toutes les larmes des générations disparues qui, réunies ensemble, feraient peut-être des océans, dis-moi donc s’il en reste une seule goutte ? Bornée est ta nature, chétive