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à l’ouragan, ira tourbillonner en mille lieux pour revivre en mille formes.

De même que Craulaubach a ordonné le feu qui engendre et brûle, l’eau qui désaltère et dissout, le vent qui ranime et renverse ; qu’il a placé les hippopotames au fond des fleuves, les vers luisants sous les buissons, les cavales dans les prairies ; qu’il a arrangé la terre, qu’il l’a peinte avec des plages et des verdures, afin que par tous ces épanouissements qui te charment ou t’épouvantent elle reproduisît la vie divine qu’il porte en lui, il a de même ordonné l’amour qui crée les êtres, l’orgueil pour dilater l’esprit, la colère pour exercer la force ; il a fait le cœur et le ventre, la main qui frappe et caresse, bâtit, détruit ; la bouche qui mange et parle, chante et siffle, baise et mord, et la tête mobile au bout des vertèbres, qui se baisse en avant quand tu noues tes sandales, qui se renverse en arrière quand tu contemples les étoiles ; il a arrangé l’homme, il lui a donné des floraisons splendides, des débordements ravageurs, des poisons cachés, des sommets froids, et il l’a créé immense afin que l’idée pût tourner en son âme ; c’est pour qu’il l’absorbe mieux qu’il l’a garni d’organes voraces, pour qu’il la déverse à plus larges effluves qu’il l’a taillé de pentes rapides.

L’esprit éperdu vagabonde dans la matière, il n’en sortira qu’après en avoir parcouru tous les détours, et avant d’en sortir il faut qu’il en parcoure tous les chemins, qu’il se soit heurté à tous les angles et roulé dans tous les abîmes.

Un délire de meurtre, de luxure, comme un ouragan bouleverse les âges, les sexes, les esclaves et les maîtres ; ni jalousie, ni possession, ni attachement, ni pudeur ; l’esclave commande au maître, les mâles s’accouplent, les vierges crient sous des déchirures sanglantes.

Nous chantons à table la prière des morts, nous nous lacérons avec des couteaux et nos buvons le sang de nos bras ; nous faisons avorter les femmes enceintes, nous crachons sur le pain, nous montons sur l’autel et nous nous encensons avec des encensoirs d’église.

Apparaît
la fausse prophétesse de cappadoce.
Femme géante, une énorme chevelure rousse lui descend jusqu’aux talons, elle brandit un pin enflammé et s’appuie de la main gauche sur le museau d’une tigresse pleine, qui se gratte contre ses flancs.

Accourez ! accourez !

Je suis descendue dans les volcans, j’ai mis ma tête dans la gueule des lions, j’ai conquis l’esprit, le voilà ! le voilà !