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De petits ports intérieurs découpent les ports principaux. Le môle, à chaque bout, est terminé par un pont établi sur des colonnes de marbre plantées dans la mer. Des voiles passent dessous ; et de lourdes gabares débordantes de marchandises, des barques thalamèges à incrustations d’ivoire, des gondoles couvertes d’un tendelet, des trirèmes et des birèmes, toutes sortes de bateaux, circulent ou stationnent contre les quais.
Autour du Grand-Port, c’est une suite ininterrompue de constructions royales : le palais des Ptolémées, le Museum, le Posidium, le Cesareum, le Timonium où se réfugia Marc-Antoine, le Soma qui contient le tombeau d’Alexandre ; tandis qu’à l’autre extrémité de la ville, après l’Eunoste, on aperçoit dans un faubourg des fabriques de verre, de parfums et de papyrus.
Des vendeurs ambulants, des portefaix, des âniers, courent, se heurtent. Çà et là, un prêtre d’Osiris avec une peau de panthère sur l’épaule, un soldat romain à casque de bronze, beaucoup de nègres. Au seuil des boutiques des femmes s’arrêtent, des artisans travaillent ; et le grincement des chars fait s’envoler des oiseaux qui mangent par terre les détritus des boucheries et des restes de poisson.
Sur l’uniformité des maisons blanches, le dessin des rues jette comme un réseau noir. Les marchés pleins d’herbes y font des bouquets verts, les sécheries des teinturiers des plaques de couleurs, les ornements d’or au fronton des temples des points lumineux, tout cela compris dans l’enceinte ovale des murs grisâtres, sous la voûte du ciel bleu, près de la mer immobile.
Mais la foule s’arrête, et regarde du côté de l’Occident, d’où s’avancent d’énormes tourbillons de poussière.
Ce sont les moines de la Thébaïde, vêtus de peaux de chèvre, armés de gourdins, et hurlant un cantique de guerre et de religion avec ce refrain : « Où sont-ils ? où sont-ils ? ».
Antoine comprend qu’ils viennent pour tuer les Ariens.
Tout à coup les rues se vident, et l’on ne voit plus que des pieds levés.