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Adossé contre la porte du souterrain et la griffe en l’air, j’épie de mes prunelles flamboyantes ceux qui voudraient venir. La plaine immense, jusqu’au fond de l’horizon est toute nue et blanchie par les ossements des voyageurs. Pour toi les battants de bronze s’ouvriront, et tu humeras la vapeur des mines, tu descendras dans les cavernes… Vite ! vite !

Il creuse la terre avec ses pattes, en criant comme un coq.
Mille voix lui répondent. La forêt tremble.
Et toutes sortes de bêtes effroyables surgissent : le Tragelaphus, moitié cerf et moitié bœuf ; le Myrmecoleo, lion par devant, fourmi par derrière, et dont les génitoires sont à rebours ; le python Aksar, de soixante coudées, qui épouvanta Moïse ; la grande belette Pastinaca, qui tue les arbres par son odeur ; le Presteros, qui rend imbécile par son contact ; le Mirag, lièvre cornu, habitant des îles de la mer. Le léopard Phalmant crève son ventre à force de hurler ; le Senad, ours à trois têtes, déchire ses petits avec sa langue ; le chien Cépus répand sur les rochers le lait bleu de ses mamelles. Des moustiques se mettent à bourdonner, des crapauds à sauter, des serpents à siffler. Des éclairs brillent. La grêle tombe.
Il arrive des rafales, pleines d’anatomies merveilleuses. Ce sont des têtes d’alligators sur des pieds de chevreuil, des hiboux à queue de serpent, des pourceaux à mufle de tigre, des chèvres à croupe d’âne, des grenouilles velues comme des ours, des caméléons grands comme des hippopotames, des veaux à deux têtes dont l’une pleure et l’autre beugle, des fœtus quadruples se tenant par le nombril et valsant comme des toupies, des ventres ailés qui voltigent comme des moucherons.
Il en pleut du ciel, il en sort de terre, il en coule des roches. Partout des prunelles flamboient, des gueules rugissent ; les poitrines se bombent, les griffes s’allongent, les dents grincent, les chairs clapotent. Il y en a