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Alors il se relève en sursaut.

Ai-je rêvé ?… c’était si net que j’en doute. La langue me brûle ! J’ai soif !

Il entre dans sa cabane, et tâte au hasard, partout.

Le sol est humide !… Est-ce qu’il a plu ? Tiens ! Des morceaux ! ma cruche brisée !… mais l’outre ?

Il la trouve.

Vide ! Complètement vide !

Pour descendre jusqu’au fleuve, il me faudrait trois heures au moins, et la nuit est si profonde que je n’y verrais pas à me conduire. Mes entrailles se tordent. Où est le pain ?

Après avoir cherché longtemps, il ramasse une croûte moins grosse qu’un œuf.

Comment ? les chacals l’auront pris ? Ah ! malédiction !

Et, de fureur, il jette le pain par terre.
À peine ce geste est-il fait qu’une table est là, couverte de toutes les choses bonnes à manger.
La nappe de byssus, striée comme les bandelettes des sphinx, produit d’elle-même des ondulations lumineuses. Il y a dessus d’énormes quartiers de viandes rouges, de grands poissons, des oiseaux avec leurs plumes, des quadrupèdes avec leurs poils, des fruits d’une coloration presque humaine ; et des morceaux de glace blanche et des buires de cristal violet se renvoient des feux. Antoine distingue au milieu de la table un sanglier fumant par tous ses pores, les pattes sous le ventre, les yeux à demi clos ; et l’idée de pouvoir manger cette bête formidable le réjouit extrêmement. Puis, ce sont des choses qu’il n’a jamais vues, des hachis noirs, des gelées couleur d’or, des ragoûts où flottent des champi-