Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

veux, tressés en cornes de bélier ! Tu recommenceras ses œuvres. Nous refleurirons comme des lotus. Je suis toujours la grande Isis ! nul encore n’a soulevé mon voile ! Mon fruit est le soleil !

Soleil du printemps, des nuages obscurcissent ta face ! L’haleine de Typhon dévore les pyramides. J’ai vu, tout à l’heure, le sphinx s’enfuir. Il galopait comme un chacal.

Je cherche mes prêtres, — mes prêtres en manteau de lin, avec de grandes harpes, et qui portaient une nacelle mystique, ornée de patères d’argent. Plus de fêtes sur les lacs ! plus d’illuminations dans mon delta ! plus de coupes de lait à Philæ ! Apis, depuis longtemps, n’a pas reparu.

Égypte ! Égypte ! tes grands dieux immobiles ont les épaules blanchies par la fiente des oiseaux, et le vent qui passe sur le désert roule la cendre de tes morts ! — Anubis, gardien des ombres, ne me quitte pas !

Le cynocéphale s’est évanoui.
Elle secoue son enfant.

Mais… qu’as-tu ?… tes mains sont froides, ta tête retombe !

Harpocrate vient de mourir.
Alors elle pousse dans l’air un cri tellement aigu, funèbre et déchirant, qu’Antoine y répond par un autre cri, en ouvrant ses bras pour la soutenir.
Elle n’est plus là. Il baisse la figure, écrasé de honte.
Tout ce qu’il vient de voir se confond dans son esprit. C’est comme l’étourdissement d’un voyage, le malaise d’une ivresse. Il voudrait haïr ; et cependant une pitié vague amollit son cœur. Il se met à pleurer abondamment.