Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieux maudits ! c’est à vous que mon juste délire
Reporte tout le mal dont je subis l’empire.
Que ne puis-je, arrachant le tonnerre à vos mains,
Faire crouler l’Olympe, au rire des humains.


ACTE III


Scène II

À ce degré d’horreur, hélas ! j’en suis venu
D’aimer ce que l’amour a de plus corrompu.
Et ce n’est point assez sur de faibles victimes
D’exercer en fureur d’épouvantables crimes,
Promenant à la fois sur leurs flancs déchirés
La rage de mon bras et d’immondes baisers ;
Pour exciter mon cœur en sa triste mollesse,
Il faut des cruautés qu’il épuise l’ivresse,
Qu’un soupir de douleur, que des cris déchirants,
Viennent dans nos festins chatouiller tous mes sens.
Longtemps il m’a suffi, dégradant la nature,
D’avoir avec l’enfance une jouissance impure,
Ou, dans mes premiers jeux, plein d’un tendre désir
De prendre à tout hasard pour me faire plaisir
Un cothurne défait, soit un casque, une épée,
Pourvu qu’elle fût longue et la garde assurée ;
Le plus banal objet qui s’offrait à ma main,
Ma luxure aussitôt s’en emparait soudain
Et, sans plus réfléchir quel en était l’usage,
J’assouvissais dessus les flammes de ma rage.
Mais le temps a passé de ces douces amours,
Jusqu’au fond du tombeau j’y songerai toujours.
Heureux, s’ils avaient pu, retenant ma jeune âme,
Du volcan de mon cœur emprisonner la flamme !

Maintenant, ce qui m’amuse, ce sont des horreurs inutiles : cracher sur la croix, cirer mes bottes avec les saintes huiles ; j’aime même à faire souffrir la nature morte, je casse tout pour le simple plaisir de détruire ; je tourmente les animaux. Qui croirait ? j’aime à souiller une oie et à lui trancher la tête, je déchire de mes ongles les faibles animaux.

Souvent le laboureur, regagnant ses travaux,
A trouvé par les champs sa génisse en lambeaux !