Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

V

La sagesse des grands-parents avait cependant prévenu pour lui toute espèce de malheur. Après beaucoup de délibérations, où l’on était remonté à l’origine des sociétés humaines, et où tous les systèmes d’éducation avaient été discutés ; après beaucoup d’hésitations, de renseignements, de contremarches et de démarches, on avait enfin mis le jeune homme dans une pension spéciale ad hoc et sui generis : ad hoc, en ce sens qu’il n’y avait dans cette maison que des fils de famille, comme lui élevés dans la pureté du foyer domestique, ayant tous des mœurs honnêtes, placés là par leurs parents afin qu’ils les gardent, et tous désirant également les perdre au plus vite ; sui generis, car cette pension était une honnête pension, où il y avait autre chose que des prospectus, des haricots et de la morale ; on y était nourri et chauffé.

L’établissement avait bonne apparence. C’était une grande maison, dans une rue déserte dont je tairai le nom, comme dit Cervantès ; elle avait une grande porte cochère peinte en vert, plusieurs larges fenêtres donnant sur la rue, et l’été, quand elles étaient ouvertes, on voyait en passant les meubles du salon garnis de leur housse en calicot blanc. Sur le derrière se trouvait une manière de jardin anglais, avec des montagnes et des vallées, des sentiers qui tournaient entre des rosiers et des acacias boules, un beau sorbier qui s’élevait par-dessus le mur et laissait retomber gracieusement ses panaches de baies rouges ; de plus, au fond — c’était ce qu’on apercevait en entrant chez M. Renaud — une tonnelle de jasmins et de clématites, faite en treillage blanc et garnie d’un banc rustique. J’oubliais une pièce d’eau, large comme une