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En traversant une rue sombre et tortueuse, elle vit, étendue sur un lit, une jeune femme qui chantait des chansons obscènes. Alors elle repensa à Pedrillo, à ce qu’elle allait devenir, et puis elle regarda cette femme longtemps, elle écouta les chants.

— Oh ! non ! non ! qui voudrait de moi ?

IV

L’or roulait sur les tables. C’était une maison de jeu, non pas un tripot autorisé par la loi, un tripot du Palais-Royal où vous avez vu venir des ministres des finances, des banquiers, avec leur cravate aussi bien mise qu’à l’ordinaire, avec une impassibilité de regard qui indiquait qu’ils étaient experts dans cet infâme commerce, mais une maison de jeu avec toute sa prostitution hideuse, un de ces taudis où parfois, le lendemain, on trouve quelque cadavre mutilé entre des verres brisés et des haillons tout rouges de sang.

La salle était basse et ses murs enfumés. Les hommes, salement vêtus, entouraient des tables autour desquelles d’autres visages se tassaient avec avidité, et leurs yeux flamboyaient à travers leurs épais sourcils, leurs dents se serraient, leurs mains se crispaient de rage, et, malgré les rides sombres de leur front, vous auriez lu peut-être bien des crimes qui s’amoncelaient avec leurs angoisses.

Quelques femmes à moitié nues se promenaient paisiblement autour d’eux, et plus loin, dans un coin, deux hommes armés, debout devant une jeune fille couchée sur le pavé et liée avec des cordes, tiraient à la courte paille. Vous frémissez peut-être, aimable lectrice, à la peinture de cette moitié de la société, la maison de jeu ? L’autre, c’est l’hôpital, c’est la guillotine.

Ah ! voyez-vous, jeune enfant, c’est que faussée par