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UN PARFUM À SENTIR.

— Alors, dit Pedrillo, demain tu iras sur la place avec tes enfants, tu prendras mon violon et tu tâcheras de faire que nous ayons du pain.

Une demi-heure après, les baladins étaient tous endormis ; le vent s’était apaisé ; la lune, débarrassée de ses nuages qui l’entouraient, resplendissait belle et claire dans une blanche gelée d’hiver et argentait l’enseigne qui avait cessé de bondir et de se replier sur elle-même. La tente était tranquille ; pourtant on entendait quelquefois des soupirs et des sanglots.

C’était une femme qui pleurait.

III

Le lendemain, Marguerite se leva de bonne heure. Elle n’avait pas dormi de la nuit, ses mains étaient trempées d’une sueur moite et malade, une humidité fiévreuse avait rougi ses pieds, sa tête était chaude et brûlante.

Elle prit le violon de Pedrillo, un vieux tapis de Perse, et sortit avec Ernesto et Garofa.

Ah ! avez-vous jamais rencontré, par un temps de neige ou d’hiver, quelque figure de mendiant accroupi aux portiques d’une église ? Le soir, au détour d’une rue sombre et étroite, ne vous êtes-vous point senti arrêté par votre manteau ? Vous vous détourniez… et c’était quelque mendiant en haillons, quelque pauvre femme qui vous disait en pleurant ces mots amers : « J’ai faim ! », et puis elle sanglotait quand votre ombre s’échappant s’arrêtait à la porte d’un spectacle entre les équipages et les livrées d’or.

Vous vous êtes peut-être rappelé ensuite, au milieu d’un entracte, ces figures tristes et décolorées, vues à la lueur du réverbère, et si votre âme est bonne et généreuse, vous êtes sorti pour les revoir et les secourir.