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fort, l’audace est trop inouïe. Ah ! don Juan d’Autriche, vous imitez bien votre modèle, il ne manque plus que l’assassinat, le rapt et l’adultère pour être tout à fait don Juan de Marana. Prenez garde ! vous avez déjà la rébellion, l’impiété et l’hérésie, plus qu’il n’en faut pour faire brûler un juif ; vous êtes le fils de mon père, il est vrai, fruit d’un amour illégitime, d’une faute de jeunesse, d’une passion de caserne, et vous, le pauvre, l’obscur, l’impie, le mécréant, le bâtard, vous voulez attenter à notre couronne sacrée ; mais l’on saura bien se débarrasser de vos mains en Faisant tomber la tête.

— Don Ruy, interrompit Olivarès, écrivez ceci de la part du roi : Cherchez don Juan, emparez-vous de sa personne ; éloignez-le de son père.

— Et puis qu’on le mette dans un cachot avec une Bible, ajouta le roi ; en ceci nous serons utile à l’État et en convertissant un pécheur, nous servirons Dieu.

— Voici encore une lettre, elle parle du père Arsène.

— Eh bien, ensuite ?

— Il s’ennuie.

— Il s’ennuie, dites-vous ? Eh ! la fonction céleste qui devrait l’occuper lui est donc à charge ?

— Il a su, par des gens officieux et empressés de lui donner des nouvelles extérieures, que son fils don Juan était l’objet des poursuites de Sa Grâce ; il en a été vivement peiné, il a menacé même de reprendre la couronne qu’il a déposée dans vos mains.

— Déposée, elle y restera, j’espère, si telle est la volonté de Dieu et de la sainte Église, notre mère a tous.

— On a même intercepté une de ses lettres qui lui était adressée, la voici. Faut-il la lire ?

— Non, donne !

Et il saisit vivement le papier que son confident lui présentait ; d’une main tremblante il l’ouvrit précipi-