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— Il mande à Sa Grâce qu’il a découvert le juif Isaac, qu’il lui a donné la question et qu’il l’a fait brûler vif.

— Dieu soit loué ! dit Philippe en se signant et en embrassant avec ferveur les pieds d’un crucifix en bois posé sur la cheminée.

— Voici des nouvelles de don Juan.

Le front du monarque se rembrunit.

— Ah ! don Juan ! que dit-il ?

— Il s’est enfui du couvent de Villa Mayor.

— Nous saurons le mettre autre part, nos verrous sont solides, nos murs bien cimentés et s’il le fallait même… Continuez, don Ruy !

— Il a sauté par-dessus les murs, un cheval l’attendait au bas, à ce qu’il paraît, car il a disparu et l’on n’a aucune trace de la route qu’il a prise.

— Ah ! messire don Juan d’Autriche, dit le prince avec un accent de colère concentrée, vous occupez de vous la surveillance royale, mais l’on saura où vous trouver. Ah ! vous avez des chevaux pour vous conduire ainsi, vous sautez par-dessus les murs de votre couvent, nous aurons pour vous une prison désormais ; s’il vous prenait fantaisie d’en sortir, le bourreau en ouvrirait la porte. Oh ! par la mort-dieu ! ajouta-t-il en trépignant, non, il n’en sera pas ainsi, ou la couronne de Charles-Quint tomberait de notre tête royale.

— Sire, dit le Grand Inquisiteur, sire, écoutez ceci : Tu ne blasphémeras point le nom de mon père, a dit le Christ. Sire, qu’avez-vous fait ? Pour cela vous donnerez à l’église del Pilar un calice d’or avec trois flambeaux d’argent.

— Pardon, mon père, dit le monarque, et il s’inclina. Continuez, don Ruy.

On dit qu’il est parti en Angleterre et qu’il veut faire la guerre au roi d’Espagne.

— Au roi d’Espagne ? faire la guerre au roi d’Espagne, dit Philippe en souriant. Oh ! ceci est par trop