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lique à la fois, annonçait une âme qui avait souffert, un corps qui s’était usé dans les jeûnes et un esprit qui s’était rapetissé dans les croyances.

Cet homme, si petit devant cet autre homme assis devant lui et se chauffant à son feu, n’était rien moins que Philippe II, roi d’Espagne et de Navarre.

Quant au vieillard, c’était don Olivarès, le Grand Inquisiteur d’Espagne, celui qui avait toute puissance, toute liberté, tout pouvoir. C’était lui qui menait tout à sa guise et à sa fantaisie, se servant de ce monarque comme d’un laquais, le pliant et le repliant de tous les côtés, et lui faisant jouer tous les rôles, lui ordonnant de porter telle relique, de dire telle prière, de parler tel langage et d’épouser la femme qu’il lui désignait ; il en faisait tout : son ami, son confident, son serviteur, son espion et même son premier bourreau.

Mais il arrivait souvent que le chien se révoltait contre son maître et le faisait trembler ; alors c’était terrible, car la colère du roi était implacable et cruelle.

Philippe obéissait au Grand Inquisiteur, non avec la servilité basse et humble de Louis XIII ployant sous la main de Richelieu, mais, si c’étaient les mêmes goûts, les mêmes préjugés et les mêmes vues, il faisait plaisir à l’Inquisiteur en faisant brûler les hérétiques, et Philippe était content de voir excommunier des gens qui troublaient son royaume ; ils se connaissaient mutuellement, se défiaient l’un de l’autre, se craignaient tous deux et même se haïssaient.

C’était à qui serait le plus fin et le plus rusé, à qui servirait mieux Dieu, à qui serait le plus féroce et le plus fanatique dans son ministère ; mais il y en avait toujours un qui fléchissait devant l’autre, et c’était la Couronne qui s’abaissait devant l’Église.

Il y avait déjà longtemps que tous trois étaient silencieux, don Ruy et le roi regardant don Olivarès