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sortant de dessous la vague, avec tes cheveux noirs sur tes épaules, ta peau brune avec ses perles d’eau salée, tes vêtements ruisselants et ton pied blanc aux ongles roses qui s’enfonçait dans le sable, et que cette vision est toujours présente, et que cela murmure toujours à mon cœur ? Oh ! non, tout est vide.

Adieu ! et pourtant quand je te vis, si j’avais été plus âgé de quatre à cinq ans, plus hardi… peut-être… Oh ! non, je rougissais à chacun de tes regards. Adieu !

XXIII

Quand j’entends les cloches sonner et le glas frapper en gémissant, j’ai dans l’âme une vague tristesse, quelque chose d’indéfinissable et de rêveur, comme des vibrations mourantes. Une série de pensées s’ouvre au tintement lugubre de la cloche des morts ; il me semble voir le monde dans ses plus beaux jours de fête, avec des cris de triomphe, des chars et des couronnes, et, par-dessus tout cela, un éternel silence et une éternelle majesté.

Mon âme s’envole vers l’éternité et l’infini et plane dans l’océan du doute, au son de cette voix qui annonce la mort. Voix régulière et froide comme les tombeaux, et qui cependant sonne à toutes les fêtes, pleure à tous les deuils, j’aime à me laisser étourdir par ton harmonie qui étouffe le bruit des villes ; j’aime, dans les champs, sur les collines dorées de blés mûrs, à entendre les sons frêles de la cloche du village qui chante au milieu de la campagne, tandis que l’insecte siffle sous l’herbe et que l’oiseau murmure sous le feuillage.

J’ai longtemps resté, dans l’hiver, dans ces jours sans soleil, éclairés d’une lumière morne et blafarde, à écouter toutes les cloches sonner les offices. De toutes parts sortaient les voix qui montaient vers le