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dans l’espace, sa course vagabonde cassait les tombes, et les cadavres réveillés se pliaient en deux sous les roues de son char.

Il descendit.

— Maintenant, que six cents de mes femmes exécutent en silence des danses de Grèce, pendant que je baignerai dans les roses, dans ma baignoire de porphyre, et puis elles viendront toutes avec moi, toutes, toutes.

Je les veux nues, sans diamants, sans parfums, sans voiles ; je veux qu’elles forment un rond en dansant, qu’elles s’entrelacent, et que de tous côtés on voie leurs croupes d’albâtre passer et repasser et se plier mollement, comme le soir les roseaux de l’Inde dans l’eau amoureuse d’une mer parfumée.

Et je donnerai l’empire des mers, le Sénat, l’Olympe, le Capitole, à celle qui m’aimera le mieux, celle dont je sentirai le cœur battre sous le mien, celle qui saura mieux laisser prendre ses cheveux, me sourire et m’entourer de ses bras, celle qui saura mieux m’endormir de ses chants d’amour et puis me réveiller par des transports de feu, des convulsions inouïes et des morsures voluptueuses ; je veux que Rome se taise cette nuit, que le bruit d’aucune barque ne trouble les eaux du Tibre, car j’aime à voir la lune se mirer dans ses ondes et les voix de femmes y résonner ; je veux qu’un jour fait à mes draperies laisse passer des vents embaumés. Ah ! je veux mourir d’amour, de volupté, d’ivresse ! et tandis que je mangerai des mets que moi seul mange, et qu’on chantera, et que des filles nues jusqu’à la ceinture me serviront des plats d’or et se pencheront pour me voir, on égorgera quelqu’un, car j’aime, et c’est un plaisir de Dieu, de mêler les parfums du sang à ceux des viandes ; et ces voix de la mort m’endormiront à table.

Cette nuit, je brûlerai Rome, cela éclairera le ciel et le fleuve roulera des flots de feu.