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le roi.

Est-ce l’image d’un conquérant qui vient me trouver sur mon trône ?

la mort.

Ton trône ? je m’en servirai pour faire les planches de ton cercueil.

le roi.

Arrière, spectre hideux ! laisse-moi m’endormir sur mon lit de roses, me laisser bercer dans mon hamac fait avec les cheveux de mes femmes, tandis que tout ne forme qu’un concert pour chanter les louanges du maître du monde.

la mort.

Arrière, vermisseau que je veux écraser sous mes pieds, toi, ta couronne et tes empires ! Je suis la Mort.

Le squelette se traîna sur les genoux en pleurant des larmes amères, et d’immenses gémissements sortaient de sa poitrine creuse.

— Grâce ! grâce ! je n’ai pas assez vécu. J’étendrai ton empire sur toute la terre, je ferai du monde une plaine vide où il n’y aura que moi pour boire l’eau des ruisseaux, pour cueillir les fleurs, pour dormir sous les arbres. Pitié ! pitié !

— Tu trembles, disait la Mort, en le prenant par les cheveux, et le traînant après elle sur les genoux, à travers le sable et les rochers, j’irai m’asseoir à ta table, embrasser tes concubines, boire tes vins, m’essuyer la bouche avec ton manteau, et casser tes coupes de diamant avec ton sceptre.

— La vie ! la vie ! répétait-il.

— Eh bien, meurs ! dit la Mort, en le repoussant au loin avec un rire de tonnerre.