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les autres plus tard ; bien d’autres m’ont appelée et sont accourus d’eux-mêmes.

Que de choses sont venues se briser sur ma poitrine ! que d’amours s’y sont rejoints ! que de bonheur y a éclos ! que de malédictions y ont retenti !

Comme j’ai marché ! comme j’ai couru ! parfois j’en ai la tête étourdie et la poitrine oppressée.

Qu’ai-je aimé de tout ce que j’ai vu, trônes, peuples, amour, gloires, deuil, crimes et vertus ? Rien, que mon linceul qui me couvre !

V

Et mon cheval ! mon cheval ! oh ! comme je t’aime aussi !

Comme tu cours sur le monde, comme ton sabot d’acier retentit bien sur les têtes que tu broies dans ton galop, ô mon cheval !

Ta crinière est droite et hérissée, tes yeux flamboient, et tes crins plient sur ton cou quand le vent nous emporte tous deux dans notre course sans limites ; jamais tu ne te fatigues, pas de repos, pas de sommeil pour nous deux.

Tes hennissements, c’est la guerre ; tes naseaux qui fument, c’est la peste qui s’abat comme un brouillard.

Et puis tu cours si bien, quand je jette mes flèches ! tu abats si bien, avec ton poitrail, les pyramides et les empires, et ton sabot si bien casse les couronnes !

Comme on te respecte, comme on t’adore !

Les papes pour t’implorer te jettent leur tiare, les rois leurs sceptres, les peuples leurs malheurs, les poètes leur renommée, et tout cela tremble et s’agenouille ; et toi tu galopes, tu bondis, tu marches sur les têtes prosternées.

Chaque jour nous recommençons tous deux la même route, nous allons tous deux dans la même arène.

Et nous allons toujours courant sur le même che-