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ration apporte sur ma faulx ; je suis éternelle comme Dieu, je suis la nourrice du monde, qui l’endort chaque soir dans une couche chérie. Toujours mêmes fêtes et même travail ; chaque matin je pars, et chaque soir je reviens tenant dans un pan de mon linceul toute l’herbe que j’ai fauchée, et puis je la jette aux vents.

II

Quand les vagues montent, que le vent crie, que le ciel éclate en sanglots et que l’océan, comme un fou, se fait une colère, alors quand tout tourbillonne et hurle, je m’étends sur ses flots écumeux, et la tempête me berce mollement comme une reine dans son hamac. L’eau de la mer rafraîchit pour quelques jours mes pieds brûlés par les larmes des générations passées qui s’y sont cramponnées pour m’arrêter.

Et puis quand je veux que tout cesse, quand cette colère commence a m’endormir comme des chants, d’un coup de tête je l’apaise, et la tempête, si superbe, si grande, n’est plus, comme les hommes, les flottes et les armées qu’elle remuait sur son sein.

III

J’ai marché du sud au nord, du levant au couchant ; j’ai passé par l’Inde et les Allemagnes, j’ai traversé les mers, les fleuves, les forêts, les déserts ; et j’ai tout fauché, abattu, brisé, trônes, peuples, empereurs, pyramides, monarchies. Car cite-moi une vague de l’océan, une parole de haine ou d’amour, un cri, un regard, un vol d’oiseau, un empire, un peuple, une renommée, une couronne, toutes choses vaines et d’un jour, écloses le matin, flétries le soir, qui ne soient effacés partout ou j’ai passé. La terre a des germes de vie, des prémisses de mort.

IV

Tout est venu me trouver, les uns de bonne heure,