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reins comme un cavalier qui fatigue son cheval ? et sa course ne sera finie que quand, épuisée sous moi, l’écume à la bouche et se roulant sur elle-même, la même chute nous emportera tous deux dans le large sein de la mort éternelle.

— Eh quoi ! pour son bonheur, j’aurai vainement semé sur elle le baume de mes souffrances et de mes larmes ? Ces germes de Dieu, qui reposaient dans le sillon de la foi, se sont séchés au souffle brûlant que tu as versé sur la terre ? Eh quoi ! mes anges pleureraient-ils dans mon paradis, en voyant leurs frères qui leur tendent vainement les bras ?

Après avoir tant marché, tant couru, tant chancelé, après t’être déchiré comme un fou, pauvre monde, tu n’aurais pas le repos de la fleur qui, fanée le soir, dort dans son calice ? du jour fatigué qui sommeille dans la nuit ? Humanité, si longtemps voyageuse, errante dans le désert de la vie, toi dont l’horizon vide s’élargissait de plus en plus dans ton long voyage, ne trouveras-tu pas une oasis ou tu puisses enfin désaltérer ta gorge séchée par la poussière des empires et fermer tes yeux brûlés du soleil ?

La bouche du Christ se pencha vers la terre, et l’haleine qui s’en échappait la ravissait d’un souffle céleste. Les arbres se balançaient mollement, et leurs feuilles, agitées par les vents, frémissaient au clair de lune ; comme un cœur plein d’amour qui murmure tout bas en tremblant, le soir, des mots d’une langue mystérieuse et qu’une bouche aimée lui a appris à chanter.

Mais bientôt ils s’arrêtent, tout cesse ; un souffle de mort plane sur la contrée ; le firmament, si blanc, si bleu, semble illuminé par l’éclat d’un incendie de l’enfer ; les tombes s’entr’ouvrent, leur couvercle se soulève, et on voit, couchés dans leurs linceuls, la tête sur la poitrine, les bras en croix, les morts qui dorment.