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corbeau qui s’abrite dans tous les cœurs et qui parle par toutes les bouches, l’orgueil vide comme le désert, fort comme l’océan, grand comme toi ; et l’envie, et la colère aux mille cris, qui d’un coup de poing broie le monde ; et la luxure rieuse et nue, se cachant dans les trous et se vautrant à l’aise sur ses coussins de satin, appelant tous, les jeunes et les vieux, impérieuse et stupide, brute et souveraine.

Et j’ai l’or aussi, l’or qui brille, l’or qui fait plus que le ciel, qui donne tout, la vertu, les trônes, la gloire ; l’or qui reluit aux couronnes, aux titres, aux dignités ; l’or qui roule, qui parle, qui chante, qui applaudit, qui vous rend fort et grand ; l’or pour qui l’on travaille, pour qui l’on se damne ; l’or que l’avarice en haillons contemple en souriant dans son galetas. Car dans ses sacs il a le monde tout entier, il le possède à lui seul, ses délices et ses voluptés, puisque, avec cela, il peut tout acheter : vertu, gloire, empires, et les empires les plus grands, les femmes les plus belles, les voluptées les plus inouïes.

Satan s’arrêta haletant, il regardait le Christ, l’œil en feu et la poitrine oppressée.

C’est que tout cela est beau, beau comme la tempête, grand comme le néant.

LE CHRIST.

— Eh quoi ! jamais de repos, toujours la guerre et le sang qui fume ! toujours des cris, toujours l’ouragan qui tourbillonne et roule ! Le monde, sous ton empire, devrait être las de ses cris, de ses convulsions, étourdi de ses blasphèmes, de ses cris de douleur.

— Et ne vois-tu pas que sa vie maintenant n’est plus qu’un long râle qu’elle s’efforce de pousser depuis mille ans que, monté sur la terre, je lui Fais ployer les