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régné arrive à la mort que les heureux maudissent ; elle est là, la vieille, toujours là, édentée, nous pressant tous, nous embrassant tous ; on la paie avant de se mettre dans la couche qu’elle vous donne ; il faut se mettre nu, lui donner ses vêtements, ses amours, ses trésors, ses empires, elle veut tout. Mais la nuit je les réveille, et je veux qu’on danse aussi dans ce lieu-là.

— Et les âmes ?

— Oui, je les fais revivre parce qu’ils ont aimé et maudit ; il y a encore des passions sous leur poitrine de squelettes.

— Tes persécutions s’étendent donc au delà de la tombe ?

— Et les tiennes ?

— Tu persécutes encore les cadavres ?

— Ils se plaignent parfois, mais il faut se lever et danser ; cela m’amuse, moi, de revoir chaque nuit ce que j’ai fait pendant qu’ils vivaient, et s’il y a quelque faute je la corrige ; c’est une leçon.

— Pauvres hommes ! quand donc viendrez-vous dans mon sein vous abriter de la damnation ?

— Ah ! ah ! la fin du monde, tu veux dire ? Quand cela viendra, je me croiserai les bras et je retournerai à mes cuisines.

— Te damner tout seul ?

— Avant cela j’aurai fait mon chef-d’œuvre : l’antechrist. Je l’ai ébauché bien des fois, mais à force de travail je trouverai l’or, vous verrez, maître. Mais venez avec moi, si vous avez quelque visite à faire au pape, il faut profiter de l’occasion. Tenez, voilà une étoile qui tombe sur la terre, je suis déjà à cheval, en route !

IV

Et l’immensité pleine d’azur était partout ; en haut, en bas, à droite, à gauche, de tous côtés, elle s’étendait toujours et allait se perdre derrière des mondes