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la terre palpita de bonheur jusque dans ses entrailles ; l’espérance y était venue.

— Elle s’est envolée depuis, et le soir même vous avez eu une étrange fièvre aux Oliviers.

— Certes, ce fut une terrible nuit. Oh ! que de tentations ! l’amour seul me soutenait alors.

— Pas si bien que la croix de bois où vous expirâtes.

— Et pour l’archange ? nieras-tu ta défaite ?

— Qu’est-ce que cela prouve, car chaque jour je triomphe.

— Vanité encore !

— Ah ! c’est une chose admirable et qui m’est d’un merveilleux usage que cette vanité-là, j’en fais le génie des poètes et la vertu des femmes.

— Tu triomphes vraiment ?

— Demande-le à ton père ; si tu savais, tu pleurerais sur tes souffrances passées. Ton père m’aime bien, j’ai régné sur toutes les religions, toutes les castes, tous les empires ; descends avec moi sur la terre et tu verras.

— Le Saint-Esprit n’y est donc plus ?

— Non, il y a déjà quelques siècles qu’il est mort d’une fluxion de poitrine.

— Toujours !… mais…

— Que peux-tu me faire ? m’anéantir ? je te remercierai ; alléger mes peines ? je suis trop fier ; et me rendre heureux ? tu ne le puis. Viens avec moi, et si ce n’est assez des vivants, je te montrerai les morts, et tu verras ensuite qui sera vaincu de nous deux.

Et il y eut un immense rire qui remplit les abîmes.

III

— Descendez, et vous verrez la-bas comme je suis maître, comme tout s’abaisse à moi, comme on m’y respecte, comme on m’y encense ainsi qu’un souve-