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passées. N’est-ce pas qu’il vous a dit souvent des mots d’une langue étrangère, des sons inarticulés comme un homme qui dort ? Est-ce que tu n’as pas senti dans son haleine les baisers d’une autre femme ? est-ce que tu n’as pas vu sur ses joues les baisers d’une rivale ? (Alice rêve.) Et puis parfois il était soucieux, il était froid, brusque à tes caresses ; il revenait dans tes bras fatigué d’autres amours, et sous tes étreintes il rêvait peut-être aux délices d’une autre.

Alice

Taisez-vous, vous êtes cruel !

Louis

Pauvre fille ! tu es folle, tu vois bien. Si l’on jetait des fleurs dans le ruisseau, elles se flétriraient, et toi tu te fanes sur la boue d’un tel cœur.

Alice, fièrement.

Vous m’avez donc fait venir ici pour me faire pleurer, sire ?

Louis

Non, ma toute belle, c’est qu’on vous aime… Dites-moi donc, et il est généreux, n’est-ce pas, je le suppose ? Il vous donne sans doute des colliers, des diamants, des chevaux qui se cabrent et piétinent, et des robes de velours, et de la soie, et de l’or dans vos cheveux noirs ?

Alice, ennuyée.

Non, il n’est pas riche.

Le Roi, à part.

La petite sotte ! elle tient encore. (Regardant la porte.) Est-il lent, l’imbécile ! (Haut.) Vous allez chasser avec lui et vous vous arrêtez dans quelque cabane de berger, et là il vous dit qu’il sera roi de France, vous serez